Fiji – Bula Bula !

Début Août 2016, le Williwaw et son équipage, toujours accompagné de Thibaud, alias Bitos, frère de Thomas, jettent l’ancre dans la baie de Suva, capitale des îles Fiji, sur l’île de Viti Levu.

Quelques jours et une tortue sur l’épaule plus tard, Thibaud nous quitte pour laisser sa place à Mylène, une amie de Thomas. Fiji, îles du bout du monde, connues pour leurs paysages plus que paradisiaques, leur peuple de géants, aussi doux qu’accueillant, et le Rugby.

A notre arrivée, nous confirmons toutes ces légendes sauf celle concernant les paysages paradisiaques. La baie de Suva est très polluée, l’eau est marron foncée, lissée par un mélange d’huile et de carburant. De nombreux déchets et autres objets non identifiés flottent le long du bateau. A l’entrée de la baie, un des côtés de la passe abrite un spot de surf. Spot soit disant réputé. Nous n’y trouvons qu’un amas de tous les déchets de la baie, ramenés ici par les courants de marée, ainsi que des tricots rayés, serpents marins aussi beaux que dangereux, pouvant tuer un homme, mais si peureux qu’ils en deviennent inoffensifs.

Tant que nous resterons dans cette baie nous ne pourrons par vérifier la légende des paysages. Et nous serons malheureusement forcés d’y rester près de 15 jours. En effet, nous attendons les filtres que nous mettons au point depuis le début de l’aventure avec Arkema, notre mécène principal. 300 filtres sont en chemin, et 150 d’entre eux sont promis aux habitants de l’île de Koro, ravagée par le cyclone de catégorie 5 Winston, en février 2016.

Les autres légendes, elles, sont bien vraies. Les fidjiens sont des géants, mais d’une douceur, et d’un accueil sans égal. Bula Vinaka ! Bula ! Bula ! Nous entendons cela dès le pied posé à terre. Bienvenue, Bonjour, bonjour ! Fidjien et fier de l’être. Telle est la devise. Tous portent haut les couleurs de leur pays. D’autant plus que leur équipe de rugby à 7 les représente aux Jeux Olympiques de Rio avec de grands espoirs de médaille. L’ambiance est au rendez-vous !

Nous trouvons bien de quoi occuper notre temps. Nous allons à la rencontre de nos contacts locaux. Francesca, jeune fille Franco-Italienne, installée à Suva depuis près de 2 ans, fut l’intermédiaire indispensable entre le ministère de la Santé Fidjien et nous. C’est la première fois que Sail for Water travaille avec un ministère. Nous rencontrons Suli, responsable du département Eau et Assainissement du Ministère de la Santé, avec qui nous établissons un programme d’action précis. Un jour, nous demandons notre chemin à un jeune. Nous commençons à discuter et il nous dit qu’il fait parti de l’équipe de rugby à 13 de Suva, et qu’il joue le surlendemain. Il nous propose sans détours de venir voir son match et de l’accompagner ensuite assister au clasico local, Fiji-Tonga. Le rugby est une religion ici, c’est peut être pour ça qu’ils sont tous aussi grands ! Il y a, partout dans les rues, des affiches de soutient à leur équipe olympique. La ville vit au rythme des victoires de l’équipe fidjienne qui se retrouve en final des JO. L’ambiance est électrique. Il s’agit de la 1ère opportunité de médaille olympique pour le pays. L’équipe de titans ne succombe pas à la pression et remporte la 1ère médaille olympique de l’histoire des Fiji, médaille d’Or ! Le chef du gouvernement déclare immédiatement férié ce jour qui marque l’histoire du pays. Ce fut un grand moment et nous sommes plus qu’heureux d’avoir pu le partager avec les fidjiens ! Go Fiji Go !

Revenons en à la mission. Après avoir discuté avec le Ministère de la Santé, c’est finalement la petite île de Koro qui a été choisie pour recevoir les filtres. Winston a fait beaucoup de dégâts à Fiji, mais Koro est l’île qui a le plus souffert. Nous le verrons en nous rendant sur place. Tout a été soufflé. A Koro, les gens disent que le cyclone « est passé une première fois, puis a fait demi tour. Il est repassé une deuxième fois ! ». L’île, très verte en temps normal, s’est retrouvée nue de toutes ses feuilles pour devenir toute marron. Les villages, tous situés en bord de mer, et ce malgré les barrières de corail, furent balayés par les énormes vagues qui ont tout détruit sur leur passage.

Malheureusement, une mauvaise nouvelle nous arrive. Un problème logistique nous empêchera de distribuer les filtres français. La nouvelle tombe telle une bombe. Alors que nous devons partir le lendemain matin pour Koro et commencer les distributions de filtres dans la foulée, nous nous retrouvons sans filtre. C’est la première fois que nous organisons une mission avec un gouvernement, et nous voilà obligé, la veille du 1er jour, de faire machine arrière. Le coup de téléphone qui doit suivre ne se présente pas comme le plus simple, ni le plus agréable, et pourtant. Il faut en effet annoncer au Ministère de la Santé que les promesses que nous leur faisons depuis plusieurs semaines maintenant viennent de tomber à l’eau. Nous n’avons pas de filtre.

Nous semblons cependant bien plus inquiets que le Ministère : « Ne vous inquiétez pas, aucun problème, on va vous donner les filtres dont vous avez besoin. Après Winston nous en avons récupéré, mais nous n’avons pas les fonds pour acheter les seaux et pour les installer. Nous pouvons en mettre 100 à votre disposition ! ». Décidément, ces fidjiens n’arrêterons jamais de nous surprendre. C’est le monde à l’envers, mais au final, tout le monde rend service à tout le monde. Peut importe d’où viennent les filtres. L’important est qu’ils fonctionnent et puissent servir à qui en a besoin. Ce sont exactement les mêmes que ceux que nous utilisons depuis le départ. Le Ministère de la Santé sauve notre mission, et nous leur permettons de distribuer leurs filtres qui attendaient dans un coin depuis plusieurs mois.

Nous quittons la baie de Suva, avec un plaisir non dissimulé. Cap sur Koro, un peu plus au Nord. Nous y arriverons le lendemain matin. Nous jetons l’ancre devant Nasau le principal village de l’île. Nos cartes n’ont aucun détail et les patates de corail affleurent partout. Un pécheur local monte heureusement à bord pour nous guider vers le meilleur emplacement. A peine le pied à terre, les « Bula, Bula » résonnent. Les enfants s’empressent de venir nous dire bonjour. Quel accueil !

Joape, infirmier en chef de l’île, est notre contact local. Il vient à notre rencontre sur la plage et nous conduit tout droit vers le hall principal du village où les chefs nous attendent. La coutume veut que tout visiteur apporte un cadeau aux chefs du village où il se rend. Les Fijiens raffolent du Kawa. Racine locale qu’ils transforment en poudre puis le mélangent à de l’eau pour le boire. Nous arrivons ainsi avec notre belle botte de Kawa. Les chefs ont l’air enchantés, s’assoient en rond et en tailleur, sur un tapis en natte de coco et nous invitent à les rejoindre. Pendant qu’un plus jeune part réduire le kawa en poudre, un des chefs nous demandent d’expliquer le but de notre présence ici. Nous présentons Sail for Water ainsi que le filtre. Il nous faut leur permission avant de pouvoir en distribuer aux habitants de l’île. Une fois ces permissions accordées, et les formalités d’usages terminées, il est temps de commencer la traditionnelle cérémonie du Kawa. Cérémonie de bienvenue.

Cette cérémonie est la parfaite illustration de l’esprit fidjien. De leur grandeur d’âme et de leur bonté de cœur. Nulle part ailleurs, de France jusqu’aux îles Fiji, nous n’avons été accueilli avec autant de gentillesse, de chaleur et d’attention. Un des chefs place devant lui un très bel objet creux taillé dans du bois, un Tanoa, sorte de bassine. A côté, il dispose d’un second récipient, plein d’eau, sur lequel il étale un bout de tissu. Dans ce bout de tissu il dépose le kawa réduit en poudre. Une fois le bout de tissu replié, de sorte que la poudre ne s’échappe pas, il le trempe dans l’eau et le malaxe longuement. L’eau prend alors une teinte gris-marron, ressemblant étrangement à de la boue. Une fois qu’il est satisfait de sa mixture il verse le tout dans le tanoa puis commence à remuer avec une coupelle taillée dans une demie noix de coco. Il la remplie alors et la tend au plus âgé en premier. Celui-ci dit « Bula Vinaka » puis boit la coupelle d’un seul trait. Toutes personnes présentes tape alors deux ou trois fois dans leurs mains et disent « Wazaa ». Le tanoa et son préposé font face aux chefs et aux invités. Tous les autres participants sont assis derrière le tanoa. Le préposé au tanoa, s’occupe alors de remplir la coupelle et de la tendre successivement à tous les participants. En même temps nous continuons de discuter et de rire tous ensemble. C’est un moment extraordinaire, quelle ambiance !

Il faut bien se l’avouer, le kawa, ce n’est pas très bon. Même les fidjiens font la grimace après s’être envoyé une coupelle bien pleine. Et pourtant nous en buvons facilement 25-30. Le kawa est censé avoir des vertus apaisantes, relaxantes, presque euphorisantes. Mais il faut en boire beaucoup. Et pour en boire beaucoup, il faut s’accrocher. Nous n’avons personnellement senti aucun de ces effets, et ce n’est pas faute d’avoir bu bon nombre de coupelle, le premier jour mais aussi tous ceux qui ont suivi.

Un ancien nous dit : « le kawa, c’est comme votre vin, plus c’est vieux, meilleur c’est ! Celui la doit avoir 7 ans. C’est du bon ! ». Au fur et à mesure de la cérémonie, de plus en plus de monde se joint à nous. Nous étions 6 ou 7 au début, nous sommes plus de 50 à la fin, tous assis en tailleurs à boire du Kawa et à fumer des feuilles de tabac locales roulées dans du papier journal. Les fidjiens sont d’excellents chanteurs et nous offrent une démonstration de choix. Nous tentons bien quelques vocalises, mais nous ne leur arrivons pas à la cheville. A un moment, une femme s’approche de nous et nous tartine le visage d’une poudre blanche. Elle commence par nous puis tartine ensuite toute l’assemblée. Nous voyant un peu déconcertés par cette action, un ancien nous dit «Cette poudre signifie que vous êtes les bienvenus au sein de notre communauté, que nous vous acceptons et que nous sommes heureux de vous accueillir. C’est pour ça que les femmes étalent de la poudre blanche sur toutes les joues ! ».

Nous voilà donc entourés de géants fidjiens à boire de la boue et à chanter avec du talc sur la figure. Nous sommes au bout du monde, quelle soirée ! A la fin, quand les ventres gonflés de kawa n’en peuvent plus, nous leur promettons de leur faire essayer le Kawa français, le Pastis. Il est vrai qu’une fois bien chargé, il a un peu la même couleur que le kawa fidjien. Ils adoreront ça !

Après cette première soirée en fanfare, il est temps de se mettre au travail. En quelques allers-retours nous déchargeons toute notre cargaison de filtres et de seaux sur la plage. Tout le monde vient nous donner un coup de main pour transporter le tout dans le hall principal. De la, nous partons avec Joape et sa voiture, la seule de l’île, pour rejoindre deux villages : Mudu et Nacamaki. Ces deux villages sont ceux qui souffrent le plus cruellement du manque d’eau potable. Ils ont de l’eau mais attendez d’en voir la couleur. C’est comme le kawa, mais sans kawa. Marron jaunâtre. Dans le 1er village, nous formons le chef à l’utilisation et l’entretien du filtre. Il s’occupera ensuite de répartir ses filtres comme bon lui semble. Nous ne pouvons pas interférer avec cela, c’est lui le chef après tout. Dans le 2nd village, le chef a réuni un membre de chaque maison. Nous nous retrouvons sous une vielle tente de l’UNICEF, de nuit, à faire nos démonstrations et explications. La bonne humeur des fidjiens transforme ce moment un peu scolaire en fête ! Vous voulez passer une bonne soirée ? Invitez des fidjiens !

Entre temps, Joape nous invite chez lui, avec sa femme et ses fils, pour le déjeuner. La large communauté Indienne des Fiji (presque 40% de la population) a inspiré leur cuisine. Sur la table, il y a plus de 6 ou 7 plats. Du poulpe au curry, du poisson à la noix de coco, du poulet aux épices, des pates aux légumes. Festin de l’année. Le temps passe vite aux Fiji et il faut déjà partir. C’est le cœur plein d’émotion que nous disons, une fois de plus, au revoir à nos nouveaux amis. Koro, Fiji, si nous le pouvons, nous reviendrons !

Avant de mettre le cap à l’Ouest, nous repassons par Suva. Nous avons rendez-vous à l’Ambassade Française pour une conférence de presse. Les principaux médias locaux sont présents. C’est la deuxième fois, après Haïti, que nous faisons cela. C’est assez amusant, et toujours agréable de retrouver un petit bout de France au bout du monde.

Cap à l’Ouest, vers la partie ensoleillée des Fiji. Viti Levu et ses montagnes bloquent tous les nuages, qui se déversent quotidiennement sur Suva et l’Est de l’archipel. Contournez la grande île, remontez un peu au Nord, et vous trouverez les portes du paradis. Je pèse mes mots. Îles de sable blanc, peuplées de cocotiers, lagons bleus azurs, comme le ciel. Mettez la tête sous l’eau et découvrez un autre monde. 1001 différents poissons de toutes les couleurs. Pas 1 de chaque, 1000 de chaque. C’est à peine croyable. Nous posons le bateau dans un des plus beaux mouillages de tout le voyage ! La légende est confirmée.

Et puis le surf. C’est le paradis du Surf. Cloudbreak, Restaurant, Namotu left, Swimming Pool. Des spots de surfs mondialement reconnus pour la qualité, la régularité et la beauté de leurs vagues. Ondes parfaites sur récifs de corail de feu multicolores. Toutes les vagues ne sont pas de notre niveau, mais nous nous régalons pendant une belle semaine avant de mettre les voiles pour de nouvelles aventures vers la lointaine Papouasie-Nouvelle Guinée.