Voyage au pays des Papous
Le 5 Septembre 2016 nous quittons les îles Fiji, avec le sentiment de quitter le paradis. Un dernier regard sur CloudBreak, vague majestueuse qui fait la réputation du surf fidjien, et nous nous réengageons dans le vaste Océan Pacifique. Cap sur la Papouasie Nouvelle-Guinée et l’archipel des Louisade. En Chemin, nous passons entre les Îles Vanuatu. Encore un endroit où nous n’avons pas le temps de nous arrêter. Nous regardons le sommet des volcans perdus dans les nuages avec une légère amertume. Il paraît que l’un d’eux, grandement actif, gargarise son magma en permanence et qu’il est accessible à pied. La prochaine fois…
Le bout du Pacifique nous appel et nous continuons vers les Louisade. Une fois n’est pas coutume, bien que culminant à plus de 800 mètres d’altitude, un épais brouillard nous dissimulera la première île après même notre entrée dans l’immense lagon. Le soleil se couche au moment où l’ancre de Williwaw tombe face à une petite plage de sable blanc, bordée de cocotiers, derrière lesquels une épaisse forêt tropicale recouvre d’un tapis vert les montagnes qui forment le paysage. La lumière baisse rapidement, et toujours aucun papou en vu. Aucune habitation, aucune forme de vie humaine. L’île est très probablement déserte, il y en a beaucoup par ici. Nous apprendrons plus tard que cette île est finalement la plus grande et la plus peuplée de l’archipel.
La nuit fut courte car l’excitation et l’envie de partir découvrir ce pays si mystérieux sont intenses. Nous levons l’ancre et mettons le cap vers le Nord, sur l’île de Wanim. Peut être y croiserons nous des papous. La barrière de corail protège le lagon des grosses houles de haute mer. L’eau est plate, le vent souffle et nous pousse à plus de 7 nœuds sans un bruit. Naviguer dans ces conditions est un vrai délice.
Papous en vu !
Les premiers que nous croisons remontent au vent à bord de ce qui nous semble être des pirogues en bambou, équipées d’un balancier. Elles mesurent environ 4 à 5 mètres de long, ingénieusement fabriquées avec de multiples bouts de bambous qui s’emboitent et forment des sortes de croix de Saint André, garantissant au bâtiment, à la fois souplesse et résistance. Plus tard nous les observerons de près. Le bois sculpté est magnifique et la construction est habilement pensée. Spacieuses et performantes, les papous parcourent de longues distances à bord de ces pirogues. Ils ne restent probablement pas secs bien longtemps et se font surement secouer, mais aucun ne s’en est plein.
Les Papous à bord de leurs 4 pirogues semblent aussi curieux que nous puisque, chacun de notre côté, nous faisons routes afin de nous croiser au plus près. Enfin, nous voilà à porté de voix. Le moment est court car nous avançons tous à vive allure. Les saluts sont très chaleureux, accompagnés de larges sourires et de grands gestes, et nous croyons entendre de l’anglais. Nous sommes très impressionnés par les qualités marines des pirogues papoues. Rapides, solides, elles remontent au plus près du vent, surement mieux que Williwaw.
Nous arrivons à la voile dans la baie Ouest de Wanim. Sans surprise, il n’y a personne. Nous ne croiserons d’ailleurs pas un seul bateau étranger de tout notre séjour. Cette fois, nous avons encore tout l’après midi, et nous nous préparons à aller fouler le sol papou pour la première fois. Du bateau nous apercevons un groupe d’enfant qui joue sur la plage.
Le platier remonte d’un coup et nous nous retrouvons dans 20 cm d’eau à 200m du rivage. Nous voilà tous les trois, pieds nus, à tirer l’annexe en marchant maladroitement mais avec une infinie précaution sur les coraux aussi coupants que colorés. Les enfants nous regardent et pouffent de rire. Nous devons avoir l’air bien empotés. Nos pieds, bien que couverts d’une épaisse corne, sont bien plus sensibles que ceux des enfants papous qui courent dans l’eau sans se soucier un seul instant d’où ils posent le pied. Le spectacle dure un bon quart d’heure, jusqu’à ce qu’un adulte nous montre un chemin plus praticable. Nous voilà enfin à terre, entourés d’une dizaine d’enfant, timides sans l’être, curieux et surtout très joyeux. Nous échangeons quelques mots mais les enfants ne comprennent pas l’anglais, et nous, nous ne comprenons pas le papou.
Petite parenthèse : En Papouasie, il y a trois langues principales, deux langues papous ainsi que l’anglais, langue coloniale. Il y a ensuite plus de 1 000 dialectes différents. Aux Louisade, il se peut que les 300 habitants d’une île ne parlent pas la même langue que les 400 habitants de l’île voisine.
Revenons sur la plage. L’adulte connaît quelques mots d’anglais et nous explique qu’il y a deux villages, et que le sien est de l’autre côté de l’île. Nous lui demandons si nous pouvons y aller. Il accepte sans hésiter et nous voilà en route pour Patnayao. La dizaine d’enfant forme l’escorte la plus enthousiaste qu’il soit. Très bien organisés, nous voilà à la queue leu-leu, sur un étroit sentier qui coupe l’ile à travers une épaisse forêt, puis sur une colline couverte d’une herbe rappelant le kikouyou corse, avant de redescendre de l’autre côté. Les enfants rient à gorge déployée tout du long. «Oudédé ! Oudédé !»reprennent en cœur les enfants. Plus vite, plus vite !
Nous sommes sous le charme de leur enthousiasme et entrons dans le petit village curieux de rencontrer les parents de ces joyeux enfants. Les habitants nous accueillent à bras ouverts. Maloulouga ! Maloulouga ! Bonjour, bonjour ! Nous disons bonjour à tout le monde et rencontrons finalement Stanley. Stanley parle relativement bien anglais et dégage beaucoup de bonnes énergies. Il est curieux de savoir ce que nous faisons ici et s’intéresse à nous. Il nous explique que le dernier bateau de blancs est passé il y a bien longtemps, plusieurs années, et qu’ils sont donc très contents de nous voir. Stanley nous accompagne saluer les anciens du villages. En chemin, Romain se lance dans un bras de fer chinois avec un enfant qui tout en s’y prêtant volontiers, ne comprend pas bien l’objectif de ce jeu curieux. Il est rare d’être aussi détendus les uns avec les autres en si peu de temps alors que nous venons de mondes si différents.
La vie est très simple. La technologie n’est pas de ce monde, les gens utilisent leurs mains, leurs cerveaux et leurs cœurs. La vie en petite communauté s’organise surement plus facilement, et fonctionne clairement mieux. Les gens sont respectueux, honnêtes et gentils. Ils vivent en communion parfaite avec la nature. Pas de préjugés, ni de rejets. Pas de stress non plus. Du moins pas beaucoup. Que de la simplicité, de l’enthousiasme et de la joie. Les papous sont des gens heureux de vivre, et leur joie est contagieuse étant donné les sourires sur nos propres visages.
Le temps de marcher jusqu’à la maison d’un ancien, une bonne partie du village nous a rejoint. Il n’y a pas de magasin à moins de deux ou trois jours de pirogue. Les papous de Wanim ne font de ce fait pas beaucoup de shopping, mais ils ont la mode dans le sang. Le style papou est unique. Les vêtements sont très colorés, souvent dépareillés et rarement à la soit disant bonne taille. L’apparence n’a aucune importance ici, il n’y a pas de prise au sérieux. Les regards sont francs et profonds. Les visages, certes marqués par la vie au grand air, sont beaux et doux. Quelques minutes après notre arrivée nous voilà attablés sur la terrasse en bambou de la maison d’un ancien, un régime de banane et des papayes devant nous, du yem et du riz ainsi que du thé. Le papou a le sens de l’hospitalité.
L’architecture des maisons papous, tout comme celle de leurs bateaux, démontre un véritable savoir faire. A la différence des fidjiens de Koro, très peu tournés vers la mer et dont nous n’avons pas vraiment pu admirer le savoir faire architectural, les papous sont d’excellents et d’ingénieux constructeurs. Sur pilotis, afin d’éviter les rampants ainsi que les éventuels assauts de la mer, les maisons sont construites principalement en bambou. Grandes et spacieuses, généralement dotées de deux pièces, elles sont très hautes sous plafond, totalement hermétiques à la pluie et au vent tout en restant très bien aérées. L’ameublement est très épuré. Souvent, une étagère ou deux pour ranger les quelques affaires, parfois, un coffre, rarement une table. Le sol, en lattes de bambou, est couvert par des tapis tressés en feuilles de cocotier. Le toit, lui aussi est fabriqué grâce à des feuilles de cocotier. Souvent une terrasse couverte termine la maison et apporte charme et confort.
Les repas se prennent assis sur le sol, sur les tapis de coco ou sur des feuilles de bananier. Nous nous installons en face de notre hôte, qui se trouve être le voilier du village, et commençons à discuter en anglais. La discussion dévie rapidement autour du business. Le papou est un fier homme d’affaires. Pas question de demander quoique ce soit. Ici tout se troc. Les besoins sont simples et précis : de la farine, du sucre, du thé, du riz, du savon, des hameçons, du fil de pêche ou du fil à coudre, des masques de plongée, des cordes, et bien sûr des vêtements. Le payement se fait en nature : fruits, légumes, coquillages, mais aussi, et pour notre plus grand bonheur, de l’artisanat : bracelets, colliers, couteaux, paniers… Les commandes sont rapidement passées, et la conversation continue. Nous posons beaucoup de questions, prenons des leçons d’ouverture de noix de coco (en moins d’une demie minute !), et savourons cet incroyable instant, hors du temps. Nous avons le sentiment d’être sur une autre planète.
Le soleil commence à se coucher et il nous faut retourner à bord avant la nuit. Nous sommes alors invités à petit déjeuner le lendemain matin, et à passer du temps au village pour discuter, troquer, et découvrir le quotidien des papous. La moitié du village nous raccompagne de l’autre côté de l’île, jusqu’à la plage, où l’annexe est posée. Nous reprenons le même chemin toujours à la queue leu-leu, dans la joie et l’allégresse. Par chance la marée est bien remontée et nous pouvons mettre l’annexe à l’eau directement depuis la plage sans marcher sur le corail. Le soleil, rouge, se couche face à nous. Williwaw barbote seul au milieu de cette grande baie pleine de beauté, de bonheur et de douceur. La vision est merveilleuse.
Nous ne manquons pas notre rendez-vous du lendemain. Et ce sont les bras chargés des commandes papoues passées la veille que nous retournons au village. Nous apportons un petit cadeau en plus à nos hôtes. Notre gennaker, grande voile légère d’avant, faite pour le vent de travers, que nous avons malheureusement déchirée quelques semaines plus tôt et que nous n’avons pas pu faire réparer. Les papous sont d’excellents marins et le voilier du village saura très certainement quoi en faire. Tout le village nous attend et nous retournons sur la terrasse en bambou de la veille. Stanley, plus en forme que jamais, nous présente les différents plats pendant que les femmes préparent le thé et le café que nous avons apportés. Le yem, sorte d’énorme pomme de terre, est la base de l’alimentation peu variée des papous. Ils le cuisent à la vapeur et le mangent à tous les repas, accompagné de courge et d’une mixture faite d’herbes et de poisson haché. Pour les grandes occasions, comme aujourd’hui, il y a du riz au menu. Et oui, ici, le riz est un met délicat.
Assis en tailleur sur des grandes feuilles de bananier nous dégustons notre premier petit déjeuner papou. Nous savons que nous vivons un moment rare. Peu d’endroits sur terre abritent encore des communautés vivant de manière traditionnelle. La mondialisation n’est pas arrivée jusqu’ici. Du moins pas encore. Espérons que ça dure. Pendant le repas nous expliquons la raison de notre présence. Les filtres à eau. Nous posons alors les questions usuelles concernant la provenance et la qualité de l’eau que la communauté utilise, notamment pour boire et cuisiner. Un ancien du village nous remercie pour notre initiative mais, à notre grande surprise, nous annonce qu’ici, à Wanim, l’eau est excellente, et que nos filtres ne sont pas nécessaires. Il ajoute que d’autres communautés voisines en auront surement un meilleur usage. Il y a un puits dans les hauteurs du village où ils vont chercher l’eau dont ils ont besoin chaque jour. Nous demandons s’il arrive que des enfants souffrent de diarrhées, il nous répond que non, ou très rarement. Curieux, nous demandons à voir cette merveilleuse source. Quelques minutes de marche plus tard, nous arrivons devant une cabane soigneusement installée, recouvrant en effet un puits naturel rempli d’une eau translucide. L’eau y est fraiche et délicieuse, absolument pas salée et sans impuretés apparentes. Puisque personne n’est jamais malade, nous ne trouvons rien à redire, et redescendons au village, heureux que nos amis soient gâtés par Dame Nature et un peu triste à la fois de devoir trouver une autre communauté à qui les filtres seront utiles.
Nous sommes agréablement surpris par l’honnêteté de cette communauté. Beaucoup auraient pris les filtres, peut importe qu’ils soient utiles ou non. Pas à Wanim. Ce qui ne sert pas ici, trouvera preneur à côté. Les adieux sont émouvants. Voilà à peine 36 heures que nous nous connaissons mais nous sommes déjà bien tristes de nous quitter. Nous aurions adoré passer plus de temps ici à Wanim, en compagnie de Stanley et son village d’incroyables papous, mais nous devons bientôt leur dire au revoir pour partir à la recherche d’une autre île habitée. Nous repartons alors à bord, les esprits émerveillés par une si belle rencontre et les bras chargés de nos objets et vivres troqués. Bananes, papayes, yem, courges, colliers, couteaux, coquillages…
Un an plus tôt, quatre jeunes français en tour du monde passaient dans le coin, non pas à Wanim, mais à Pana Wina, non loin d’ici. Ils nous ont rapidement parlé de cette île et de son chaleureux accueil. Nous décidons donc d’y faire route.
En fin de journée nous arrivons dans une baie au Sud Ouest de Pana Wina. L’île est plus grande que Wanim, et nous apercevons déjà des maisons papoues sur la plage. L’endroit est paradisiaque. Nous mouillons en face de ce qui semble être la place du village. L’ancre n’a pas encore tout a fait accrochée qu’un papou, debout sur son bateau, avançant à la force des bras, armé d’un bâton avec lequel il pousse sur le font, arrive près de Williwaw. Il y accroche son embarcation et monte à bord. C’est un viel homme, petit et chétif, au visage doux et marqué par la vie. Il n’a plus une seule dent, et sur ses yeux bleus azur trône une paire de lunettes auxquelles il manque un verre.
Il nous salue et dit en anglais sur un ton cordial mais très strict,
– « Bonjour, soyez les bienvenus au village Bomalou. Je m’appelle Robert et je suis le chef du village ».
Nous n’avons pas le temps de répondre qu’il ajoute,
– « Vous n’êtes pas au bon endroit. Veuillez remonter votre ancre, je vais vous conduire vers la bonne zone de mouillage. Le font y est sableux et vous serez protégés du vent et du courant ».
Etonnés face à tant de précision et d’autorité, nous nous exécutons, remontons l’ancre et naviguons doucement vers la zone en question, en suivant rigoureusement les indications de Robert. Une fois le bateau mouillé au bon endroit, le visage de Robert s’adouci.
Nous nous installons dans le cockpit et commençons à discuter. Robert est un homme éduqué et raffiné. Il a étudié le droit à Port Moresby et endosse le rôle de magistrat du village en plus de chef. Il nous raconte son parcours et l’histoire de son village. Il s’inquiète de la situation politique et économique de son pays. Perdus au milieu d’îles désertes, toutes à plus d’une semaine de navigation de l’île principale de Papouasie, Son village et lui sont oubliés d’un gouvernement déjà en pleine crise. Il n’a pas reçu d’aides publiques depuis près d’un an, les caisses du village sont vides. Heureusement, nous dit Robert, le village est auto suffisant. Les cultures locales suffisent à nourrir la communauté, le reste n’est qu’accessoire. Nous proposons à Robert de rester prendre l’apéritif à bord. Il accepte avec joie. Ca deviendra notre petit rituel. Chaque jour, à 18h, Robert viendra à bord avec ça pirogue, boire une bière, fumer une cigarette et discuter en mangeant quelques biscuits ramollis par l’humidité ambiante du bateau. Tant mieux, il n’a plus de dent.
Nous parlons des filtres à Robert. Il semble très intéressé. Des missionnaires, dans les années 70, ont installé une pompe pour apporter au village l’eau d’une source issue de la montagne. Malheureusement cette pompe ne fonctionne plus depuis pas mal d’année et les gens doivent aller à pied chercher l’eau à la source. L’eau n’y est pas excellente car stagnante et partagée avec les animaux de la forêt. Les habitants du village en sont conscients, et ont pris l’habitude de la faire bouillir avant de la boire. Heureux d’avoir trouvé preneurs, nous faisons une démonstration à Robert. Il trouve le procédé très intéressant et nous assure que les filtres seront grandement utiles à sa communauté. Nous lui demandons toutefois de ne pas en parler tout de suite au village. Nous avons à cœur de partager le quotidien de la communauté en toute naïveté, du moins pour quelques jours.
Nous passerons une grosse semaine au village Bomalou, vivant au rythme des papous. Le matin suivant notre arrivée, nous allons à terre. C’est un dimanche et tout le village se rend à la messe. L’église est le seul bâtiment construit en dur. Tout le monde est assis par terre sauf Robert, le chef, qui a fait porter 3 chaises supplémentaires. Nous y prenons place un peu gênés, mais refuser cet honneur serait peut être insultant. Les enfants s’occupent de la chorale et leur voix, puissantes pour leur âge, pures et cristallines, raisonnent dans toute l’église et donne à la cérémonie une saveur particulière. Les papous, depuis le passage des missionnaires catholiques, sont très croyants et très pratiquants, à l’image des fidjiens. Il est très difficile d’avoir le récit d’anciennes histoires. Certaines coutumes d’antan sont des sujets à éviter. Les missionnaires ont surement fait un excellent travail pour certaines choses, mais il est certain qu’une grande partie de la culture et des anciennes traditions papoues se sont perdues car très certainement interdites alors. C’est le même constat qu’aux Fiji, les papous ont honte de certaines anciennes traditions et n’en parlerons pour rien au monde. C’est bien dommage.
Après la messe, alors qu’une grande partie du village est réunie, Robert en profite pour annoncer notre arrivée et nous présenter. Les gens semblent plus timides qu’à Wanim, un peu plus distants. Heureusement, les enfants sont le parfait liant. Nous ne tardons pas à jouer avec eux, et l’ambiance se détend. L’activité du village reprend son cours et nous essayons de nous fondre dans le décor. Robert impose une seule règle à sa communauté, sans que nous ne lui demandions quoique ce soit : interdit de venir « nuire à la tranquillité des visiteurs » à bord du bateau entre 18h et notre réveil.
Le lendemain matin, en nous réveillant, nous découvrirons une file indienne d’enfant papou, chacun dans leur pirogue, parfois à deux ou trois. Tous viennent voir le bateau, et faire du troc, mais ils attendent sagement que l’on se réveille. C’est très amusant. Chacun leur tour, ils montent à bord et viennent proposer un œuf, une tomate ou quelques banane contre du savon, du fil de pêche, des vêtements, et une foule d’autre chose. Le bateau s’est enfin allégé grâce à nos amis papous. Beaucoup de chose ne nous servait pas. Nous sommes ravis qu’elles aient trouvé joyeux preneurs. Parmi nos visiteurs quotidiens, il y a Brendaline et son papa. Brendaline est une petite fille de 2 ans tout au plus. Quelques jours avant notre arrivée, elle a eu la maladresse de s’asseoir sur des braises et s’est brulée la fesse. La plaie est purulente et ne cicatrise pas. Son papa la conduit donc tous les matins à bord afin qu’on tente de la soigner avec la pharmacie du bord. Cette petite fille déborde de courage, et ne pleure jamais lorsqu’on nettoie sa plaie pourtant à vif ni lorsqu’on installe un pansement. Les cookies sont chaque matin amplement mérités.
Nous sommes arrivés sur l’île à la période des semences. Chaque famille possède un terrain, qu’ils appellent jardin. Il s’agit d’un lopin de terre sur un pan de colline. Très escarpé, il n’est pas aisé d’y planter quoique ce soit. D’ailleurs pas grand-chose ne pousse ici. Ou plutôt, ils n’y a pas grand chose à faire pousser. Etant donné que la tache est ardue, c’est tout le village qui vient en aide à chaque habitant, à tour de rôle. Chaque jour, 2 à 3 jardins sont creusés par les hommes et plantés par les femmes. Nous nous prêtons au jeu et allons creuser quelques trous. L’outil est plutôt rudimentaire. Il s’agit d’une tige en métal qu’on plante dans le sol puis, d’un geste de levier, on dégage une motte de terre. On recommence jusqu’à ce que le trou soit à la bonne taille. Une graine de Yem étant plus grosse qu’une pomme de terre de chez nous, un seul coup ne suffit que très rarement. En fonctionnant ainsi, un pour tous et tous pour un, cette laborieuse tache se fait dans la joie et la bonne humeur, au rythme des sifflets et des cris d’encouragement. A la fin de la période des semences la centaine de jardins est prête, il n’y a plus qu’à attendre que ça pousse. Lors de la récolte, le même schéma se reproduira. C’est un bel exemple d’entraide. Pendant que les hommes creusent, les femmes préparent le déjeuner. C’est jour de pique-nique, tout le monde déjeune ensemble, et nous aussi. Toujours assis sur les traditionnelles feuilles de bananier nous dégustons du yem, de la courge, du riz pour l’occasion, de l’herbe au poisson et du thé.
Autre tradition, le papou chique. Pas du tabac, non. Un mélange de graine de bitternut, de feuille de mustard et de lime. Les deux premiers sont des plantes et le troisième n’est autre que de la poudre de corail. Dans un bel outil en bois pour certains ou une boite en plastique pour d’autre, ils pilent la poudre de corail avant de l’ajouter dans la bouche à la bitternut et à la mustard. Le résultat est plutôt étrange. Le goût est d’abord sec et amer. Puis la bouche commence à réagir et à beaucoup saliver. L’amertume, elle, reste. Le mélange devient de plus en plus rouge et il faut constamment cracher. Voilà la raison des nombreuses taches rouges sur le sol ! Certain avale, mais ce n’est pas recommandé. A port Moresby, le sol en est immaculé. Il a pourtant de nombreux panneaux interdisant de chiquer dans les lieux publics…
Les papous chiquent toute la sainte journée. Sans arrêt. Chiquer de la bitternut, comme boire du kawa, est localement reconnu pour ces vertus apaisantes voir euphorisantes. Il n’y a en effet qu’à regarder le regard un peu vitreux de celui qui chique depuis un bon moment. Malheureusement, comme la majorité des substances relaxantes et euphorisantes, il y a des effets négatifs à long terme. Le Kawa dessèche la peau, chiquer de la bitternut tue les dents. Beaucoup de papous n’ont plus une seule dent à l’intérieur de leur bouche toute rouge. Le coupable ? Le Lime, la poudre de corail. Extrêmement corrosive, elle attaque les dents jusqu’à ce qu’elles tombent. Les papous le savent très bien, mais que voulez-vous ? Certains, cependant, chiquent uniquement le mélange de bitternut et de mustard. Ils conservent toutes leurs dents. Du moins, elles ne tombent pas à cause de ça.
Malgré le rythme peu pressé du papou, les journées sont, pour nous, très cadencées, en plus les enfants ne vont pas à l’école car c’est les vacances. La journée commence tôt le matin, à bord, avec nos visiteurs, puis nous enchainons avec des parties de football avec les enfants, ou d’autre jeux comme l’épervier. Nous nous promenons beaucoup sur l’île, les décors sont magnifiques. Toujours accompagnés d’une horde d’enfant, nous parcourons bruyamment l’île pour aller discuter ici et la. En chemin nous chantons à tue tête et nos jeunes amis reprennent en cœur. Ils raffolent de se voir en photo et prennent beaucoup la pose.
Avec Robert nous allons voir chacune des trois sources d’eau de l’île. La qualité n’a rien à voir avec le puits naturel de Wanim. L’eau, à cette période de l’année, est stagnante. Très trouble, presque odorante, peu attirante. Après une semaine environ à vivre chez les papous, il est temps de les remercier pour leur accueil et nous organisons les distributions de filtres. Nous n’en avons pas beaucoup malheureusement à cause du problème logistique que nous avions eu aux Fiji. Une trentaine seulement. Un représentant de chaque famille se rend à la présentation générale. Les papous, comme les Kunas, n’ont que très peu de problème à comprendre comment les filtres fonctionnent et pourquoi les utiliser. Les explications et distributions se font rapidement. Robert se sent très concerné et nous avons entière confiance en lui. L’hygiène n’étant pas la règle n°1 ici, nous craignons un peu pour la durée de vie des filtres. Espérons que ça puisse servir au moins le temps que la pompe du village soit réparée. Quelques années probablement. Il est bientôt temps de partir pour Port Moresby afin de réparer le bateau qui a un peu souffert depuis les Fiji. Quelques jours d’escales avant de se lancer dans la longue traversée jusqu’à l’Indonésie.
En chemin, comme nous traversons l’immense lagon des Louisade, d’Est en Ouest, et que nous croisons une multitude d’île, nous décidons de nous arrêter pour la nuit à l’abri de l’une d’elle. Le hasard fait bien les choses, et lorsque l’univers s’emmêle le résultat peut devenir somptueux. Nous nous installons sous le vent d’une petite île en forme de croissant. La baie est parfaitement protégée. A terre, le sable blanc, les cocotiers, et la forêt tropicale. Du bateau nous pouvons entendre chanter la multitude d’oiseaux de l’île. L’eau est transparente, et laisse apparaître en détail les rochers, le sable, les coraux, les poissons. C’est merveilleux. Le soleil se couche en fanfare passant du orange au rouge, puis au violet, avant de laisser sa place à une infinité d’étoile. Ce mouillage, que nous garderons secret, est sans aucun doute un bout de jardin du paradis
La Papouasie Nouvelle-Guinée restera gravée dans nos mémoires comme l’escale la plus hors du temps de tout notre voyage. Coupée du monde, cette destination se mérite, mais l’expérience de vie en vaut le détour. Il reste tout à découvrir. Une vie ne suffirait pas. Alors ne perdez pas de temps !