Transpacifique – De l’Équateur aux Îles Gambier
L’Equateur est un pays que nous avons découvert plein de richesses. D’une part, par sa nature verdoyante, fertile et variée mais surtout par ses habitants, d’une force morale à toute épreuve comme ils ont pu nous le prouver au travers des rencontres que nous avons faites. La leçon de vie que nous avons apprise auprès des Equatoriens restera gravée à jamais dans nos mémoires.
Mais l’heure est venue de se préparer à tout autre chose. Un des plus gros défis de notre tour du monde nous attend de pied ferme : la traversée du Pacifique. Depuis notre position à Bahia de Caraquez il nous faut naviguer plus de 3500 nautiques (soit 6500km) pour rejoindre la première terre à l’Ouest : l’archipel des Gambiers. Williwaw devra donc voguer pendant environ un mois, sans répit, sans abri, sans ravitaillement. Williwaw, lui, ne semble pas plus inquiet que ça, il a entendu dire que le Pacifique portait bien son nom et que ce ne serait qu’une épreuve d’endurance. Chacun des barbus du bord se prépare, psychologiquement et non physiquement, à être loin de toute autre forme de société que les deux autres barbus qui l’entourent. Et croyez les, ce n’est pas simple. Avant le départ nous achetons des provisions qui pourraient nous permettre de tenir 6 mois en Antarctique et remplissons tous les coffres sous les planchers de petites douceurs qui égayeront nos longues journées de mer.
C’est donc le 11 Mai que nous larguons les amarres suivi de très près par un bateau compère, celui de Luc et Nelly. Luc et Nelly forment un heureux couple de bretons, partis en tour du monde depuis quelques années maintenant et qui n’ont aucune date de retour prévue. Pratique d’être à la retraite, on prend le temps de vivre les choses. Leur bateau, un catamaran de 47 pieds est bien plus grand que Williwaw et doit être bien plus rapide. Dommage nous ne pourront sans doute pas les suivre et faire une arrivée ensemble aux Gambiers pour partager tous les moments forts de cette traversée.
Nous quittons donc la marina de Bahia de Caraquez à marée haute, afin d’éviter les bancs de sable, en début de matinée. Les prévisions météo sont bonnes et le vent semble régulier. La tactique décidée en parti par le nouveau capitaine Nicolas _ qui a donc investi la prestigieuse cabine arrière du navire _ sera de croiser le plus à l’ouest possible pour capter les alizés tout en faisant de la route au sud. Luc, Capitaine de Folavoahl, décide lui de longer la côte vers le sud jusqu’au Pérou avant de partir suivre les vents portants vers l’ouest. Bonne option ? Peut être, l’avenir nous le dira.
Nous voguons durant une semaine vers l’ouest. Ce qui est bizarre c’est que les vents que nous attendions du sud-est viennent en fait du sud-ouest soit exactement là où l’on veut aller. Williwaw nous montre alors tout son potentiel au pré serré… Ce n’est pas fameux. Heureusement que la mer n’est pas formée. Au bout de six jours le vent tourne plus au sud et nous permet d’ajuster notre route. Nous avons parcouru 679 nautiques. Ce n’est pas beaucoup et nous espérions pouvoir aller plus vite. Patience. Nous contactons alors Luc pour savoir où Folavoahl se trouve. Certainement déjà loin devant nous. Son option sud a dû lui permettre d’éviter de naviguer au pré. Sa réponse nous laisse perplexes. Le catamaran est toujours le long des côtes péruviennes, près de 500 nautiques derrière nous. Mais, que s’est-il passé ? L’option côtière n’était pas la bonne ? Elle l’aurait sûrement été s’ils n’avaient pas coincé leur bateau dans un immense filet de pêcheur. Il a fallu à Luc 24h dont 3 ou 4 plongées pour dépêtrer les dérives et les hélices de ce maudit filet. Après cette annonce on ne peut que se dire qu’on est bien lotis avec notre vent dans le nez.
En ce début de deuxième semaine le vent tourne sud et nous pouvons mettre directement cap sur les Gambiers, c’est le pied. Williwaw se met à filer à vive allure. Mercredi 18 semble une journée bénie des dieux. Les voiles réglées ne bougent pas, le bateau avance si bien que nous parcourrons 167 nautiques en 24h, le record de cette traversée, mais surtout, surtout nous pêchons notre première prise depuis un temps qui semble éternel. La bête se bat mais ne résiste pas à notre technique affutée. Nous avons travaillé la manœuvre plusieurs fois et elle s’avère être efficace. L’un de nous remonte la ligne à la main via le travers du bateau, un autre enroule le fil remonté sur une bobine pendant que le troisième sort déjà les instruments de mise à mort…
_ Une bouteille de rhum ? Ce n’est pas un peu tôt ?
_ Mais non ! C’est pour endormir le poisson et qu’il meure sans souffrir dixit Nicolas…
_ Ok. Admettons. Mais pas trop tout de même !
Une fois que la bête est sur le flan du bateau, il s’agit de la remonter et de la lancer dans le cockpit de la manière la plus adroite possible. On découvre alors cette belle dorade coryphène, pas bien grosse, mais bien charnue. Nicolas verse du rhum dans ses branchies mais cela ne semble pas vraiment l’endormir… Au contraire elle se met à convulser violement… Vite, un couteau qu’on abrège les souffrances de cette pauvre bête ! Sitôt fait commence le travaille de découpe dont on passera les détails ici. C’est dingue le nombre de recettes que l’on peut faire avec 4 beaux filets de dorade. Des steaks au beurre d’ail, des makis, des pâtes à la dorade et même des burritos ! Elle y passera à toutes les sauces.
Le reste de la semaine est plus compliqué, le Pacifique se révèle plutôt belliqueux et nous montre toute la puissance qu’il peut accumuler. La houle se lève et le bateau se met à rouler de plus en plus. Ce n’est bon ni pour le confort de l’équipage ni pour les équipements. Nous avons malheureusement eu quelques déboires avec notre bout dehors (un tube à l’avant du bateau qui permet de soutenir les grandes voiles d’avant) puis avec le pied de mât qui s’est mis à faire un grincement un peu inquiétant. Rien de bien méchant pour le moment mais il nous faut faire attention à préserver le vieux Williwaw. Nous réglons alors les voiles afin de le soulager au mieux tout en essayant de garder la bonne allure que nous avons eu jusque là.
La troisième semaine passée en mer sera celle de la patience. Le vent s’essouffle, les alizés sont perturbés et le calme arrive. Les prévisions météo annoncent 3 jours sans vent… Que faire ? On ne va tout de même pas dépenser toutes nos réserves de gasoil pour avancer de quelques nautiques ? La décision est unanime, nous attendrons le vent. L’utilisation du moteur reste limitée à 2 heures quotidiennes pour pouvoir refaire de l’eau avec le désalinisateur et recharger les batteries. Les journées sont longues quand on n’avance pas. Le bateau roule, les voiles battent et les nerfs sont soumis à rude épreuve. Si on ne peut pas éviter que le bateau roule, on peut toujours affaler les voiles pour leur éviter de battre et de s’user inutilement. Seulement sans les voiles, on n’avance pas et c’est dur mentalement. Pour la bonne santé de nos nerfs il faut donc trouver de quoi s’occuper. On instaure alors le moment bricolage de la journée. Tous les matins nous devons réparer quelque chose à bord. Nous commençons avec le guindeau (machine qui permet de descendre et lever l’ancre) dont les branchements électriques sont plus que douteux, puis nous continuons avec le groupe électrogène qui a du mal à démarrer. Ensuite vient le tour des panneaux solaires dont le rendement était très bas depuis un certain temps (en effet un fusible avait grillé) puis celui de l’alternateur du moteur qui nous a lâchés durant cette traversée. Vous l’aurez compris nous avons trouvé de quoi nous occuper. Et heureusement car après 3 jours, le vent ne revenait toujours pas. Ce n’est qu’au bout du 6ème jour que le vent a bien voulu reprendre ! Et croyez le, la sensation d’avancer remet du baume au cœur.
De leur côté Luc et Nelly ont eu la même situation que nous et, comme nous, ils ont pris leur mal en patience. L’avance que nous avions prise sur eux et qui avait diminuée durant la deuxième semaine s’est stabilisée. C’est quand même sympa de savoir qu’on n’est pas seuls dans notre galère.
A la fin de cette période de « pétole » nous avons passé 21 jours en mer et on commence à voir le bout du tunnel, les deux tiers de la route sont déjà avalés et le reste suivra. Le vent nous est favorable et le calme a permis à la houle de baisser. Williwaw reprend de l’élan et file à bonne allure vers la Polynésie. A bord on rêve déjà de lagons d’eau turquoise, de vahinés nous accueillant avec des colliers à fleurs et surtout d’un bon repas à terre avec des produits frais ! Mais avant cela il nous faudra jouer encore une fois avec les caprices du Pacifique. Décidément cet océan n’est pas vraiment bien nommé ou alors nous n’avons pas de chance. La météo annonce une houle de 4 à 5m venant du Sud et dû à une tempête qui sévit dans les hautes latitudes. Il ne faut pas trainer car la queue de cette dépression nous rattrape et des vents violents pourraient venir nous atteindre.
Et ils nous atteignirent ! Le vent monte progressivement puis pour les 36 dernières heures de notre longue traversée la guerre est déclarée. Le vent souffle à 35 nœuds (65 km/h) et les grains s’enchainent détrempant tout ce qui se trouve sur le pont du bateau. Nous ne pouvons plus lâcher la barre car dans de telles conditions il faut soulager le pilote automatique. Chacun son tour nous enfilons notre ciré et notre harnais puis nous tenons la barre sous la pluie pendant des heures. Le ciel est noir, la mer déchainée. Les embruns trempent le pont du bateau que la pluie ne cesse de rincer. Heureusement le lagon des Gambier n’est plus très loin. C’est assez ironique car il est même trop proche de nous. Et oui, il faut qu’on ralentisse pour ne pas arriver de nuit dans la passe du lagon. A l’allure où nous allons, nous arriverons à 21h. Or le soleil ne se lève qu’à 6h. Comme nous ne voulons pas faire des ronds dans l’eau durant 9h devant la passe, il faut que l’on ralentisse. On avance donc avec seulement un petit morceau de génois en calculant la vitesse que l’on peut se permettre de faire pour arriver à la bonne heure. Williwaw semble s’en plaindre car il fait de grandes embardées et ne nous laisse aucun répit.
Ce n’est qu’à 5h du matin le 11 Juin 2016, un mois après notre départ, que nous sommes finalement dans des eaux plus clémentes. L’archipel nous protège de la houle et nous nous dirigeons tranquillement vers la passe d’entrée du lagon tout en attendant le levé du soleil. A 8h nous sommes à l’abri dans la baie de Rikitea sur l’île de Mangareva aux Gambier. Luc et Nelly ne sont pas loin derrière puisqu’ils arriveront dans l’après-midi. C’est avec une immense joie que les accueillons le soir et que nous partageons une bouteille de rhum à la santé des marins du Pacifique… « pas si fique » que ça en fait.