Equateur – Mission d’urgence !
Le 16 avril 2016, à 18h58 heure locale, un tremblement de terre de magnitude 7,8 a eu lieu au large de Muisne, ville côtière du Nord-Ouest de l’Equateur. Les séismes d’une telle magnitude sont rares et leurs puissances dépassent largement celle des bombes nucléaires lancées sur Hiroshima ou Nagasaki lors de la 2nd Guerre Mondiale. En Equateur, c’est la pire tragédie depuis plus de 40 ans. Il y a eu plus de 1500 répliques dans les semaines suivant le « Terremoto » (tremblement de terre en espagnol), dont 2 très grosses le 13 mai (6,7 et 6,8). La catastrophe a fait 673 morts. Les dégâts matériels sont considérables.
La veille, nous venions de quitter notre famille et nos femmes, venues nous rendre visite à Panama. De retour sur le bateau, au corps mort à la sortie du Canal de Panama, nous tentions une dernière fois de prendre contact avec une association Equatorienne afin d’organiser notre mission de distribution de filtres initialement prévue sur place. Sans aucune réponse, nous commencions à envisager de traverser directement l’immense Océan Pacifique sans passer par l’Equateur.
C’est alors, qu’en début de soirée, le 16 avril, nous recevons une alerte nous informant du terrible séisme qui venait de frapper le Nord Ouest de l’Equateur quelques minutes plus tôt et des risques de tsunami engendrés par la secousse. La nuit s’annonce stressante. Cependant, l’absence totale de réaction, en sortie même du Canal de Panama, où transitent chaque jour plusieurs dizaines d’énormes cargos, nous rassure un peu. L’alerte sera d’ailleurs levée dans la nuit. Plus d’hésitation, nous devons aller au plus vite en Equateur pour venir en aide aux gens qui ont probablement tout perdu. L’association Ecuasol, silencieuse jusqu’ici, nous répond immédiatement, et une action commune se met en place. Ecuasol, association Franco- Equatorienne s’occupe normalement de la jeunesse en difficulté de Quito. Mais l’urgence de la situation appelle à la mobilisation et Ecuasol a tout mis en œuvre pour nous permettre d’aller au plus vite distribuer des filtres dans les zones les plus touchées et les plus isolées, coupées de l’aide nationale et internationale. L’ambassade Française en Equateur a également pris contact avec nous afin de coordonner les actions de toutes les ONG présentes sur place. Le schéma est rodé. Ce n’est pas la 1ère catastrophe naturelle, et malheureusement pas la dernière. Les grandes ONG connaissent la chanson. Nous nous retrouvons au milieu d’une effervescence qui nous dépasse un peu, mais nous avons notre rôle à jouer.
Ainsi, le 21 avril après quelques jours d’intense préparation de la mission, mais aussi de la Transpacifique qui allait suivre, nous levons l’ancre pour Esmeraldas, au nord du pays. Nous y arriverons le 25 avril, après 5 jours de navigation compliquée dans une zone pourrie, le mot est le bon. Le pot-au-noir, la zone de convergence intertropicale. Ici rien n’a de sens, le vent, la mer et le ciel se livrent une guerre d’illogisme. Nous traverserons tout ça principalement au moteur, nous n’avons pas le temps de nous engluer dans ce bordel. Notons tout de même notre première rencontre avec un requin marteau, un peu curieux, nageant à côté du bateau lors d’un calme plat.
Notons également l’abordage de la Police Maritime Colombienne qui, en pleine mer et surgissant de nulle part, monta à bord pour fouiller le bateau. Lorsqu’ils ont vu les 75 seaux empilés dans la cabine arrière, les deux policiers ont bien cru à la saisie de l’année, mais ce n’était malheureusement que des seaux pour installer les filtres…
Le 25 au soir nous arrivons à Esmeraldas, près de la frontière Colombienne. Pas de marina ou de mouillage, mais un petit port de pêche miteux…
A première vue, il ne semble pas y avoir eu beaucoup de dégâts ici, bien que l’épicentre fût à quelques centaines de kilomètre à peine. La police nous explique qu’il est dangereux de laisser le bateau sans surveillance. Nous ne sommes pas étonnés et décidons de descendre plus au Sud, à Bahía de Caráquez, où il y a une petite marina abritée et sécurisée, durement touchée, mais toujours fonctionnelle.
Entre temps, nous rencontrons les 4 membres de l’Equipe d’Ecuasol, Paola, sa directrice ainsi que 3 jeunes volontaires ! Une belle équipe. La première avec qui nous partagerons une mission. Aussi bizarre que cela puisse paraître, surtout en de telles circonstances, l’Etat Equatorien tenait absolument à garder la main sur toutes les denrées humanitaires qui entraient sur le territoire dans le cadre de l’urgence, suite au séisme.
Dans notre cas, si nous déclarions les filtres, il fallait les confier aux douaniers qui les auraient ensuite peut être donnés à une association locale qui les aurait alors peut être distribués aux victimes… Pas d’hésitation, nous n’utiliserons pas cette voie là. Nous les ferrons entrer clandestinement sur le territoire, de nuit. Notre convoi s’organise vite, et le soir même, nous déchargerons discrètement les 75 seaux et les 100 filtres en quelques allers retours avec notre annexe, entre le bateau et le camion affrété par Ecuasol pour la mission.
Le 27, nous quittons Esmeraldas, cap sur Bahía de Caráquez. Tout commencera de là bas. La ville a été durement touchée.
Lors de cette courte navigation de moins de 24h, nous passerons la fameuse ligne imaginaire, l’Equateur, qui divise la planète en 2 hémisphères. Grand moment dans la vie d’un marin. Nicolas, qui était de quart à 6h00, heure du passage de la ligne, réveillera le reste de l’équipage avec du bon vin rouge et un saucisson pour fêter dignement ce court instant de magie. A partir de là, tout ira très vite, et les nombreuses distributions s’enchaineront sans trainer. Le tremblement de terre a eu lieu il y a plus de 10 jours, le bilan s’aggrave et s’alourdi d’heure en heure bien que l’aide soit déjà mise en place.
A peine le pied à terre, la mission d’urgence commence. L’objectif est d’aller là où les autres ne vont pas, pour aider ceux qui sont laissés de côté car l’urgence se concentre sur les grosses villes. Thomas mènera les deux premières distributions, avec l’équipe d’Ecuasol, dans les communautés de Bellavista et de Parroquia San Isidro. Pendant ce temps, Romain et Nicolas s’occupe de mettre le bateau en sécurité dans le grand estuaire de Bahía. En 15 jours, les gens ont déjà eu le temps de déblayer un peu. Beaucoup de maisons se sont effondrées, et les familles sinistrées font comme elles peuvent. Des tentes, des cabanes et des abris de fortunes sont installés et la vie s’organise. La force morale des équatoriens nous marque profondément. Ils ont tous perdus. Leurs maisons, leurs travails, parfois même des membres de leurs familles. Malgré cela, personne ne se laisse abattre, l’enthousiasme est de rigueur. C’est le début d’une grande leçon de vie.
Nous partons ensuite plus au Sud, vers la ville de Manta. Bien qu’éloignée de l’épicentre, cette grande ville, réputée pour la pêche au thon, n’a pas été épargnée. C’est là où il y a eu le plus de victimes. Nous sommes accueillis par Nelson et sa femme, qui nous logeront tous pendant 2 jours et nous guideront vers des communautés coupées du monde. La route est longue car le camion ne peut pas rouler vite, la route étant souvent entaillée, effondrée, parfois même défoncée.
Le pays est sublime, d’un vert éclatant et ininterrompu. Au milieu de cette riche et puissante nature, les maisons éventrées, effondrées, se succèdent. Des centaines de personnes marchent le long de la route et demandent aux véhicules de l’eau et des vivres. Des enfants la plupart du temps, agitent un bout de tissu rouge ou blanc pour demander de l’aide. A Manta, nous nous rendrons au centre névralgique de l’aide humanitaire. Là où tout est censé s’organiser et être centralisé. Nous demandons des conseils, où aller ? à qui parler ? Mais comme avec les douaniers, on nous demande de leur confier les filtres et de les laisser faire. Que de temps perdu. Nous nous débrouillerons sans eux, et nous nous débrouillerons bien mieux. Nelson nous guide vers des communautés profondément isolées et terriblement seules, livrées à elles mêmes. Nous serons souvent les premiers à passer par là. Quelques militaires parfois, apportent des vivres et un peu d’eau, mais les convois sont peu nombreux et seront de plus en plus rares, puis ils s’arrêteront.
Après Manta, nous remontons vers le nord, toujours en longeant la côte qui a été la plus touchée. Notre prochain arrêt est Pedernales, la ville où passe la ligne imaginaire : « La Ciudad a la Mitad del Mundo ».
Vous en avez sûrement entendu parler dans les médias. La ville a tout simplement été rasée de la carte. Le spectacle est désolant. Ici, 15 jours n’ont pas du tout suffit à déblayer. Les rues sont difficilement praticables et la poussière monte haut dans le ciel. Tout est détruit. Un mur de ce côté, un immeuble de celui ci. Pedernales était un haut lieu du tourisme équatorien. Cependant, Aujourd’hui la ville semble bien vide. Beaucoup d’habitants ont quitté les lieux. Une grande partie de l’aide humanitaire se concentre ici, à Pedernales, et nous croisons de nombreuses grandes ONG internationales. Nous visons une petite communauté, La Chorrera, environ 1000 familles vivant initialement le long d’une sublime plage. Désormais, des abris de fortune se succèdent, souvent à même le sable. Il ne reste rien, tout est détruit.
Tout est détruit. Ces gens ont absolument tout perdu, il ne reste rien. Rien qui ne ressemble à quelque chose d’entier. Malgré ça, nous serons accueillis plus chaleureusement que nous ne l’avons jamais été depuis notre départ de France. La leçon de vie continue.
« J’ai perdu ma maison et mon restaurant, mais ma famille est saine et sauve et je suis encore vivant. C’est le plus important. On ne peut pas ressusciter les morts. Tout le reste n’est que matériel et pourra être reconstruit ». La vie reprend son cours doucement. La crainte de nouvelles répliques est bien présente et les abris précaires ne résisteront probablement pas à la moindre secousse, mais il faut avancer et continuer à vivre. Les sourires, les rires, la générosité, la gentillesse apaisent l’atmosphère et illuminent le paysage. A chaque démonstration, les gens sont très attentifs, rien ne leur échappe, et il est rare de devoir répéter. Tout va très vite, et en une semaine nous aurons pratiquement traversé le pays en longeant la côte, rencontré plusieurs dizaines de communautés, et distribué plus de 100 filtres. On aurait aimé pouvoir en distribuer plus !
Sur la petite route de La Chorrera nous sommes tombé par hasard sur Jordan Tappis, représentant de Waves for Water, l’ONG américaine qui nous a tant inspirés et aidés tout au long de la préparation du projet et encore aujourd’hui. Rencontre aussi agréable qu’improbable ! Nous espérons pouvoir mener une action avec eux un jour ! De retour à Bahía, il ne nous reste plus qu’à trouver de quoi remplir les cales du bateau pour affronter la Grande Mer du Sud, l’Océan Pacifique, qui nous réserve bien des surprises. Départ pour la grande traversée de notre voyage le 11 mai à l’aube, avec la marée !
Notre passage en Equateur, même s’il fut aussi rapide qu’intense, restera gravé comme une grande leçon de vie, d’humanité et de partage. Les gens que nous avons rencontrés nous ont probablement plus apporté que ce que nous avons pu leur apporter.
Le bonheur nait du simple fait de vivre. Peut être qu’on ne s’en rend compte que lorsque la mort emporte beaucoup et nous frôle de très près, comme ont pu ressentir tous ces équatoriens le soir du 16 avril 2016.